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"On supporte la Roma pour vivre des émotions inoubliables !" Entretien avec Johann Crochet, spécialiste du foot italien


Bonjour Johann, cela fait longtemps que tu suis le football italien. Apparemment, tu es fan de l’AS Roma, comment l’es-tu devenu ?

Quand j’étais petit, j’ai eu la chance de voyager beaucoup en Italie avec mes parents, j’ai adoré le pays. Et, à l’époque, il y avait tous ces vendeurs de faux maillots dans la rue. Donc j’ai commencé à me renseigner sur le foot italien. Quand on regardait la télé française, on y voyait essentiellement des clubs où il y avait des Français : Juventus, Inter… mais pas la Roma. Et puis, pendant la coupe du monde 1998, j’ai découvert Luigi Di Biagio qui jouait alors à la Roma. J’ai donc commencé à m’intéresser à ce club. Et puis, j’ai eu un coup de foudre le jour où j’ai commencé à voir la Roma jouer, j’ai été séduit par ses couleurs, son maillot, son stade tout le temps plein à l’époque… En fait, c’est un mélange de tout, les tifosi, le jeu produit, les joueurs qui sont restés toutes leurs carrières au club. De toute façon, tu ne supportes pas la Roma pour leurs trophées gagnés mais parce que tu sais que tu vas vivre des émotions, c’est le côté attachant du club, romantique.

Et aujourd’hui, tu es journaliste indépendant spécialisé dans le foot italien…

Oui, j’ai eu l’opportunité de devenir journaliste sportif après avoir travaillé dans le marketing et le monde de la publicité. Un vieux rêve qui ressurgit au bon moment. J’ai d’abord pigé pour Eurosport où je m’occupais essentiellement du football italien (avec quelques papiers également sur le foot néerlandais ou scandinave), puis je suis devenu rédacteur en chef de l’édition française du site Goal.com. J’ai quitté ce poste en juin et depuis j’ai un peu de temps pour réaliser quelques projets comme le podcast hebdomadaire sur le foot italien [« Calcio e pepe », produit avec Guillaume Maillard-Pacini (Eurosport), ndlr]. Il est divisé en deux ou trois parties, dont une choisie par les internautes, qui collent à l’actualité du football italien. Typiquement, la semaine dernière, on a fait un focus sur Strootman qui partait à Marseille. Après, évidemment, on fait un débriefing des matchs du week-end parce que c’est surtout ce qui intéresse les gens qui ont envie mais ne peuvent pas regarder la Serie A. On essaie d’avoir régulièrement des invités qui sont liés au foot italien et qui s’expriment en français.

Être fan de l’AS Roma et en même temps journaliste spécialisé dans le foot italien, est-ce vraiment compatible ?

Que je sois supporter de la Roma ne m'empêche pas de faire mon métier objectivement. Quand la Roma peut être critiquée, je le fais ; quand il faut la féliciter, également. Les gens sur Twitter savent que je suis supporter de la Roma en civil mais n'ont jamais eu à mettre en doute mon objectivité de journaliste quand il fallait parler de la Roma et des autres clubs italiens. D'ailleurs quand je pigeais à Eurosport, entre 2011 et 2013, sur le foot italien, beaucoup pensaient que j'étais tour à tour supporter de la Juve, du Milan, de l'Inter, de la Roma... assez cocasse mais ça voulait dire que je faisais bien mon boulot !

Et donc, objectivement, qu’as-tu pensé du mercato de la Roma ?

Je suis resté assez pragmatique là-dessus. Ça fait mal au coeur de voir partir Nainggolan et Strootman. Mais il faut prendre en considération la place de la Roma. La Roma, c’est 91 années d’existence mais uniquement 3 scudetti. La Roma ne peut pas faire un mercato comme la Juve, en se renforçant et en gardant ses cadres. C’est un peu comme Dortmund, ils ont un certain modèle économique à préserver. Quand tu es la Roma, est-ce que tu peux vraiment refuser une offre de plus de 60 millions + bonus pour Alisson ? Il y a quand même beaucoup de joueurs qui sont arrivés. Le pari principal, c’est Pastore parce qu’on connaît tous son talent mais on sait qu’il peut être fragile et irrégulier. Kluivert c’est intéressant de l’avoir recruté car je l’ai beaucoup observé à l’Ajax ; il a des qualités indéniables de percussion, de vitesse et des facilités dans les duels.

Et qu’as-tu pensé de l’arrivée de Steven Nzonzi ?

Je ne suis pas beaucoup le football espagnol mais j’en ai énormément entendu parler et en bien. Sa rentrée contre l’Atalanta Bergame était hyper intéressante. C’est le changement qui a permis de donner un nouveau visage à la Roma qui avait très mal commencé et qui, par la suite, est revenue au score. Techniquement, il a réussi et je l’ai vu à l’aise. Il est calme, c’est bien. Et Nzonzi associé à De Rossi, ça apporte du leadership et ça permet de faire jouer Pastore en 10.

Avec les départs et les nouvelles recrues, penses-tu que la Roma va réussir à s’échapper de cette étiquette d’éternel deuxième de Serie A ?

La Roma n’a jamais autant dépensé sur un mercato, ce qui prouve bien qu’ils ne veulent pas vendre juste pour vendre, ils veulent aussi autre chose. Mais je pense que la Juve va remporter le titre. De toute façon, aujourd’hui, finir deuxième ou quatrième, ça ne change pas grand chose. En tant que supporter, je préfère qu’on finisse quatrième et qu’on aille loin en Ligue des champions plutôt que deuxième et qu’on se fasse éliminer dès les huitièmes.

Je t’ai demandé de m’envoyer une photo de toi et tu m’as envoyé celle-ci. Peux-tu me mettre dans le contexte de cette photo ?

C’était le 28 mai 2017 à l’Olimpico pour les adieux de Totti lors de Roma-Genoa. À la fois, je trouve ça beau et triste de me dire qu’à 32 ans, j’ai certainement vécu ma plus forte émotion footballistique en tant que supporter. Je ne vois pas ce qui pourrait être aussi fort et aussi beau émotionnellement, même une victoire en Ligue des champions ne serait sans doute pas aussi forte, ce serait certes beaucoup de joie et de plaisir mais ça, c’est quelque chose qui est à part. Totti était un des éléments qui faisaient que tu avais un vrai sentiment d’appartenance au club, un vrai relais de l’identité du club sur le terrain, en dehors, médiatiquement et dans le monde entier. Et, pour avoir interviewé à l’époque Carlos Zampa, le speaker de la Roma dans les années 1990-2000, il m’avait dit : « Mais toi t’es français, t’as pas de famille italienne, de filiation romanista. J’ai beaucoup de respect pour les gens comme toi — et t’es loin d’être le seul — qui arrivent à sentir cette appartenance à la Roma en étant loin et en partant de zéro ». C’est un sentiment qui est propre à la Roma et qui est sans doute plus fort qu’ailleurs. Cette photo a été prise après les quelques larmes versées lors des adieux de Totti, parce qu’évidemment tout était fait pour que tout le monde pleure et effectivement, dans les tribunes, tout le monde a pleuré. J’étais au milieu de gens que je ne connaissais pas, qui n’avaient pas la même nationalité que moi mais, en un regard, en une parole, on comprenait ce que chacun ressentait. En plus d’être un moment un peu triste, ça a été un très beau moment humainement pour tous les supporters. C’est quand même le plus grand joueur de l’histoire de la Roma, le plus grand capitaine, c’est mon joueur préféré et je suis ravi qu’il soit toujours au sein du club aujourd’hui ! Et ça m’a surpris car je n’avais jamais versé de larmes (de joie ou de peine) pour du foot. En fait, dans le stade, ce jour-là, on a tous eu l’impression qu’on nous enlevait une petite partie de la Roma. Et c’est à cela qu’on disait adieu. D’où mon émotion, très forte.

Quel est ton avis sur le groupe de la Roma ? Quel signe cela donne pour la saison en LdC ?

C'est un groupe homogène, moins dur sur le papier que la saison passée, quand la Roma était tombée avec l'Atlético et Chelsea. Mais l'année dernière, on a vu que la Roma était aussi capable de se qualifier dans un groupe fort. Le CSKA Moscou et le Viktoria Plzen apparaissent plus abordables mais attention. L’objectif est clairement de se qualifier pour les huitièmes de finale. Attention néanmoins à des enchaînements compliqués puisque la Roma jouera à Naples trois jours après la réception du CSKA, puis recevra l'Inter trois jours après le match contre le Real à l’Olimpico. La gestion de l'effectif de Di Francesco, qui a été une réussite la saison passée, sera plus difficile, mais avec le mercato, il dispose de plus de solutions pour le turn-over. Pour continuer à progresser, pour attirer de bons joueurs, il est primordial de se qualifier en huitièmes et après, on sait que tout est vraiment possible, on l'a vu la saison passée.

Comment voyez-vous le Real Madrid cette année, sans Cristiano ?

Il y a une grande inconnue au Real avec le départ de Cristiano Ronaldo et avec le fait que c'est un groupe qui a beaucoup gagné et qui s'est peu renforcé cet été. Sur le papier, cela paraît évidemment très difficile car le Real semble quand même au-dessus. Mais qui voyait la Roma terminer première la saison dernière, devant l’Atlético et Chelsea ? Personne. Et pourtant.

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