À quelques jours du derby de Rome, nous avons rencontré Thierry Cros, correspondant français en Italie depuis 27 ans, fondateur de zonemixte.fr et sympathisant romanista...
"Personne n'avait de doute sur ses capacités technique et tactique, mais la Roma est un club particulier, qui a connu cet été un moment marquant, le départ de Francesco Totti. Un nouvel entraîneur a toujours besoin de temps pour mettre en place ses idées, mais à Rome, l'impatience prime. Sur un plan personnel j'étais ravi de voir Di Francesco arriver ici, mais j'étais inquiet sur le temps qu'on allait lui laisser pour travailler. Le poids médiatique local est terrible.
Mais tout s'est mis en place rapidement. Les joueurs ont adhéré à la manière de travailler de Di Francesco, à la fois sur le relationnel, sur la tactique, sur la préparation et le turnover.
Il est hors de question de tirer des conclusions hâtives, mais la Roma a déjà un très bon niveau alors que nous ne sommes qu'en novembre. Le coach a réussi à convaincre les cadres, qui véhiculent un très bon état d'esprit à tout le groupe. C'est une très bonne chose pour le club et l'environnement en ville. On sent une sérénité autour du club."
"Il y a des joueurs cadres à plusieurs niveaux. Daniele De Rossi émet de très bonnes ondes en tant que nouveau capitaine. En plus, le turnover de Di Francesco lui permet de rester frais et très bon sur le terrain. Ensuite, il faut souligner l'adaptation hallucinante, d'un point de vue tactique, technique et en terme de poids dans le vestiaire, d'Aleksandar Kolarov. Son attitude professionnelle a fait que ça s'est très bien passé rapidement. Radja Nainggolan avait lui atteint un niveau incroyable la saison dernière, et s'il a pu avoir un peu plus de mal en début de saison avec le nouveau système de Di Francesco, il est revenu à ses standards avec beaucoup d'humilité. Il a fait beaucoup d'efforts en silence. Le coach commence d'ailleurs à lui redonner un peu plus de liberté sur le terrain. Edin Dzeko est à noter parmi les cadres. Il a été extraordinaire la saison dernière, lui aussi, et repart sur les mêmes bases d'un point de vue footballistique. Que ce soit par ses buts, mais aussi dans son implication tout au long du match. Il est fondamental dans le système du coach. Le dernier que je citerais, c'est Manolas, qui a connu une saison dernière plus compliquée, et qui revient à un très bon niveau avec Di Francesco. C'est le taulier de la défense, et son attitude est vraiment positive.
J'en ai donné cinq et j'en rajoute un dernier, qui n'est peut être pas un cadre à proprement parler, mais qui apporte une fraîcheur dans le groupe, dans l'environnement du club, c'est Alessandro Florenzi. On pouvait être inquiet après ses deux blessures, mais il est toujours disponible, très bon, quelque soit le poste auquel il joue. Tout le monde est très heureux de le voir revenir ici à Rome."
"C'est une force de Di Francesco, qui a les moyens de s'inscrire dans la durée au club. Il a un rôle fondamental pour créer cet esprit de groupe, de solidarité. Oui, il y a des joueurs qui sont plus importants que d'autres, qui ont un passé avec le club, mais tout le monde tire dans le même sens cette saison. L'environnement Roma est bouillant 24h/24, on vit le football de manière excessive, et le coach apporte cette sérénité qui lui fait du bien. Il n'y a pas de star, tout le monde est impliqué."
"Gonalons est une excellente recrue. Il a un passé important dans un club, avec un statut d'ancien capitaine. Ce n'était pas simple de s'intégrer dans un nouvel environnement, un nouveau pays, avec un statut complètement différent. Il a démontré qu'il avait beaucoup de force de caractère pour y parvenir. D'un point de vue technique, s'il ne serait pas contre jouer au côté de De Rossi, il a intégré l'idée qu'il était juste derrière dans la hiérarchie en n°6. Mais le turnover marche et ne change pas la qualité de l'équipe. Les deux jouent le jeu.
Defrel a connu un début de saison perturbé par les blessures. Il n'est pas encore à 100%, mais dans l'attitude, il a toujours été très discipliné tactiquement et très motivé dans ce qu'il fait. Il ne joue pas forcément au poste qui a fait son succès à Sassuolo, dans l'axe. Il manque de réalisme et de chance, et il a encore besoin du temps pour s'adapter. Il a besoin d'être décisif sur un match, d'un déclic pour lancer sa saison."
"Les Laziale en parlent depuis six mois ! Les Romanisti en parlent depuis quelques jours, malgré la trêve internationale qui a coupé la tension générale. Mais ça monte en puissance, avec une certaine sérénité. Le stade devrait être plein, il y aura une belle ambiance avec une Curva Sud qui joue bien son rôle depuis le début de saison. Les gens sont contents et ont envie de battre la Lazio, qui marche bien depuis le début de saison. Ce qui est beau dans le derby, outre le match en lui-même évidemment, c'est la veille en ville, dans les marchés. On sent que ça monte petit à petit."
"Il n'y a pas de confiance possible avant un derby. On doit bannir ces paroles avant un match comme celui-ci. Le derby, c'est une logique sportive à part, c'est un match particulier, différent. On ne sait jamais comment ça peut se passer. Il ne faut pas en parler avant et prier pour pouvoir en parler après. En plus les joueurs reviennent de la trêve, donc ils peuvent être sur un nuage ou au contraire dans une position plus négative (interview réalisée lundi 13 novembre, ndlr). Et se relever, ou s'écrouler pendant le match. C'est impossible à prévoir."
"Mars 1990, victoire de la Roma 1-0, au stadio Flaminio, car l'Olimpico était en travaux avant le mondial. Passe de Giuseppe Giannini, but de Rudi Völler. L'ambiance était très tendue dans le stade. C'était une belle première expérience, pas forcément au niveau footballistique, mais c'était très chaud ! Je suis arrivé à Rome deux mois plus tôt, et j'ai commencé à avoir de l'affection pour le club notamment grâce à la prestation de quelques joueurs. Völler d'abord, qui était avant-centre comme moi plus jeune. Le prototype de joueur que j'aurais aimé être. Bruno Conti, en fin de carrière, mais aussi Giuseppe Giannini. Ils m'ont rapproché du club. J'ai aussi préféré l'ambiance latine des matches de la Roma. C'était très festif."
"Qu'est-ce qu'un beau derby ? Comment le définir ?"
"Un beau derby c'est un derby qui se gagne, évidemment, pour commencer. Je me souviens de certains d'entre eux, qui m'ont marqué. Celui de l'année du titre par exemple, où la Roma gagne sur un but contre son camp de Paolo Negro (1-0). Le derby de l'année suivante, le fameux 5-1, avec un quadruplé de Vincenzo Montella et le dernier but de Totti. Je me souviens d'Alessandro Nesta qui demande à sortir à la pause tellement il était écœuré. Montella l'a rendu fou ! C'est la seule fois dans l'histoire d'un derby qu'un joueur met quatre buts. Il y avait une sacré ambiance dans le stade. Deux ans après je crois, à l'automne 2003, je me souviens du tacco de dio de Mancini, cette Madjer en extension, Zampa était devenu fou au micro, et l'ambiance dans le stade était hallucinante. Ce sont trois derbies qui me reviennent parce qu'il s'est passé quelque chose de très fort à chaque fois.
Je me souviens aussi d'un match plus récent, en 2014-15, avec Rudi Garcia aux manettes. Nous jouons l'avant-dernière journée et les deux équipes luttent pour une place en Ligue des Champions. Ce match est décisif, et la Roma gagne 2-1 grâce à un but en fin de rencontre de Mapou Yanga-Mbiwa. Le but improbable, qui prouve que tout peut arriver dans un derby."
"La Lazio, l'équipe, qui tourne très bien cette saison. Simon Inzaghi fait un excellent travail. Que ce soit offensivement ou défensivement, c'est très équilibré. Quelques individualités transforment ce collectif, comme Immobile et Milinkovic-Savic, bien sûr. Mais comme je l'ai dit, cela ne sert à rien de mettre en avant un joueur en particulier avant un derby. Oui, Totti a souvent fait la différence, mais tout peut arriver sur un match comme cela. C'est l'improbabilité qui l'emporte. Il faut bannir la prévision sur un derby. La seule chose dont on est sûr, c'est qu'il va se passer quelque chose."
"Question très compliquée ! Je ne veux oublier personne. Ce sera un onze émotif plus qu'autre chose. Konsel, dans le but. J'adorais ce gardien fantasque, qui était très bon. À droite, Cafu, c'est difficile de faire autrement. Aldair est indispensable dans l'axe, avec Candela à gauche.
Au milieu, De Rossi, Nainggolan, Florenzi, Giannini et Conti. Devant Totti et Batistuta. Non, Totti avec Völler. Voilà, ça c'est une équipe pour Zeman, pour tout le monde en attaque ! Après, le plus beau 11, c'est celui que changera Di Francesco jusqu'au prochain titre de champion."
"Je dirais Capello pour avoir été le seul, depuis que je suis à Rome, à avoir apporté le titre dans cet environnement. Pour le jeu, pour le football, je dirais Spalletti époque 2005-09, qui a réinventé Totti en faux n°9. Enfin, l’entraîneur à l'état d'esprit 100% romanista, je dirais Mazzone."